L'héritage des

«BANOKO»

Un bilan de la colonisation

Opinion

 

Lettre ouverte

 

Veldhoven, le 2 août 2016

 

Lettre ouverte aux signataires de la Carte Blanche proposant de « décoloniser »
la statue du roi Léopold II, place du Trône, à Bruxelles [1]

 

Depuis plus de cinquante ans il y a en Europe une campagne de désinformation des masses sur notre passé colonial. On a inculqué aux peuples européens un complexe de culpabilité car si l'Afrique va mal, c'est à cause de la colonisation. Le plus grave, ce n'est finalement pas que les Européens aient des convictions erronées sur leur passé colonial, mais c'est que les Congolais, instruits de ces contrevérités, finissent par y croire. Votre initiative abonde dans ce sens car, en stigmatisant Léopold II et la colonisation, vous souhaitez revisiter le passé colonial de la Belgique pour démentir ce que vous appelez « la légende d'un grand roi apportant la civilisation au cœur de l'Afrique… Un mythe résistant aux multiples travaux d'historiens témoignant pourtant que ce sont plusieurs millions de personnes qui trouvèrent la mort pendant la période coloniale sous le régime de Léopold II. Cela, dès avant que la colonisation belge poursuive son œuvre de désagrégation sociale traditionnelle en maintenant pendant plusieurs années le régime du travail forcé (pour ne pas dire esclavagiste) instauré par Léopold II » [1]. En vérité, vous remplacez ce que vous appelez un mythe par d'autres mythes aussi tenaces : ceux des millions de morts et de l'esclavage belge au Congo.

 

Votre initiative est une offense à la mémoire de mes parents et de tous les honnêtes gens, Belges et étrangers, qui ont consacré leur vie, voire donné leur sang, pour sortir le Congo des Ténèbres et y apporter la civilisation.

 

Il est un fait que la morale change d'une époque à l'autre. Ainsi de nos jour, la morale rejette le concept même de la colonisation, mais il faut savoir raison garder et éviter maintenant de faire un procès d'intention au passé colonial de la Belgique. Pour juger du passé, on doit replacer les événements dans leurs contextes historiques de temps et d'espace ; en d'autres termes, il faut relativiser.

 

Depuis l'origine des temps, les colonisations ont été des étapes primordiales dans l'évolution des peuples. Par le système colonial, des peuples aux civilisations avancées apportent à des peuples moins développés leurs connaissances, leur civilisation et en échange ils se rétribuent en exploitant les ressources du pays. Pour garantir la stabilité et la rentabilité de l'entreprise, les puissances coloniales exercent une tutelle administrative et politique sur le pays colonisé.
Ainsi le berceau de notre civilisation européenne se situe sur les rives de la Méditerranée. Dans l'Antiquité, en Egypte et en Mésopotamie, se développèrent des cultures dont les connaissances servirent aux civilisations suivantes. Par son heureuse situation à l'Est de la Méditerranée, la Grèce s'instruisant de ces civilisations afro-asiatiques prit la relève. Les Hellènes, en colonisant le bassin Méditerranéen y apportèrent leur civilisation qui eut une grande influence sur le reste du Monde.
Ensuite, Rome en se développant se rendit à son tour maître du bassin Méditerranéen. César entreprit la conquête de la Gaule qui eut pour résultat la domination romaine pendant quatre siècles et demi. Cette colonisation jeta les bases de notre civilisation occidentale. Au 5e siècle, les invasions germaniques conduisirent à la chute de l'Empire romain d'Occident, laissant en Europe un vide dont tous les peuples eurent à pâtir. Il fallut de nombreux siècles encore, de nombreux conflits et de nombreux drames avant que la civilisation occidentale, fusion des civilisations romaine et germanique et basée sur la culture judéo-chrétienne, n'atteigne le degré d'évolution que nous connaissons actuellement et reprenne le flambeau.
Au 15e siècle, l’Europe connut une période de paix relative et d’expansion économique et les progrès techniques rendirent matériellement possible les voyages au long cours. Notre Monde Occidental, fort de sa civilisation, entreprit alors d’explorer, de conquérir et de coloniser le reste de la planète.

C'est ainsi qu'une poignée de Blancs put conquérir et dominer le reste du monde, pas par hasard, mais parce que l'Europe était plus forte, plus riche, plus instruite, plus entreprenante…
Pendant cinq siècles, la colonisation européenne a changé la face du monde. Grâce à elle, la civilisation occidentale n'a cessé d'agir et de créer. Trois continents, les Amériques, l'Océanie et l'Afrique, sont nés de l'effort de colonisateurs européens. Quant à l'Asie, elle s'est régénérée à leur contact. La somme des bienfaits que la colonisation européenne a répandu dans le monde l’emporte de beaucoup sur la somme des maux qu’elle a pu causer.

 

Qu'a apporté la colonisation belge aux Congolais ?
Le premier mérite de la présence belge au cœur de l’Afrique est d’avoir créé de toutes pièces un Etat moderne regroupant sous une même législation des peuplades indépendantes les unes des autres et sans organisation centrale. Les droits et devoirs de cet Etat, comme ceux des citoyens, étaient définis par une Constitution : la Charte Coloniale.
Cet Etat avait un gouvernement et des administrations centrales et locales agissant dans l’intérêt des populations.
Appelé à faire régner la justice, l’Etat mit sur pied une organisation judiciaire. Imposant leur autorité, les Belges apportèrent la paix entre les peuplades : la « Pax Belgica » bien connue de tous. Pour ce faire ils mirent sur pied une force de police appelée la Force Publique.
Pour couvrir ses dépenses publiques, l’Etat leva des impôts et mena une politique financière saine en veillant à l’établissement et à l’exécution de budgets en équilibre.
Cet Etat fut aussi l’organisateur de l’essor économique, social et sanitaire remarquables que connut le pays pendant la période coloniale. Il fixa les règles du jeu économique en contrôlant largement les entreprises privées et en investissant lui-même dans des travaux d’infrastructure. Il organisa et réglementa les relations entre la main-d’œuvre indigène et les employeurs, imposant à ces derniers toute une série de mesures en vue d’améliorer les conditions de travail et la situation des travailleurs. L’Etat fit aussi de gros efforts pour développer une économie rurale indigène en créant des paysannats qui assurèrent une production vivrière importante et des revenus décents aux paysans. Il développa de façon scientifique l'agriculture et les élevages, de sorte que le Congo Belge était devenu auto-suffisant et n'avait pas besoin de l'aide internationale pour survivre.
Le fait le plus marquant de l’œuvre coloniale des Belges fut d’assurer le développement global des populations en mettant à leur disposition un enseignement de qualité et gratuit pour tous les Congolais. Le Congo Belge était le pays d'Afrique noire comptant le plus haut pourcentage d'enfants scolarisés et, à l'Indépendance, le pays comptait deux universités, fréquentées par plusieurs centaines d'étudiants congolais. Les Belges veillèrent à l’hygiène publique et dispensèrent des soins de santé gratuits aux indigènes, ce qui permit d'allonger l’espérance de vie des Congolais. La colonisation a délivré ces populations de leurs craintes ancestrales des esprits et de la sorcellerie.
Dans ce pays immense qu’est le Congo, rien n’aurait pu se faire sans un bon réseau de voies de communication. Une des premières tâches de l’Etat fut donc de veiller à la construction de chemins de fer, de pistes, de routes et à l’aménagement des voies navigables. A la veille de l’Indépendance, le Congo Belge disposait ainsi d’un ensemble de moyens de transport particulièrement développés et efficaces. Cette infrastructure de moyens de transport donna l'occasion aux Congolais de sortir progressivement de leur isolement séculaire ; ils apprirent à se déplacer dans leur pays, à communiquer entre eux, à chercher du travail et à commercer, ce qui leur permit d’accéder à un niveau de vie plus aisé.
Avant de mettre le pays en valeur, il fallut en connaître les possibilités, aussi la Belgique créa des institutions scientifiques chargées d’étudier les milieux humain, physique et biologique. Des organismes furent chargés de levés cartographiques, de travaux de recherches géologiques, géodésiques, météorologiques et agronomiques.
En un mot, la colonisation a ouvert le Congo à la modernité.

 

Même si certains Blancs se sont mal comportés vis-à-vis des Congolais, le bilan de la présence belge au Congo est dans son ensemble positif et nous pouvons être fiers de l'œuvre titanesque réalisée en Afrique par une poignée de nos compatriotes.

 

Quelques mots sur Léopold II. Il n'y a pas de doute qu'il était un personnage sortant de l'ordinaire, car il fit et fait encore couler beaucoup d'encre. Il ne laissa personne indifférent, il déchaîna les passions, ou on l'admirait, ou on le haïssait. Les uns le glorifièrent, les autres l'insultèrent et tentèrent de ternir son image. Mais, que cela vous plaise ou non, Léopold II restera pour la postérité le roi fondateur d'un état, le Congo.
Léopold II rêvait d’expansion pour la Belgique, rêve qu’il réalisa en se faisant octroyer par la communauté internationale un vaste territoire au cœur de l’Afrique. Ces terres, dont personne ne voulait, se révélèrent plus tard être extrêmement riches, ce qui ne manqua pas de provoquer des jalousies de la part de ceux qui avaient laissé échapper ce trésor. Mais l’organisation du jeune état ne se fit pas sans certains revers et abus qui servirent de prétexte aux adversaires du Roi pour entreprendre une vaste campagne contre son régime dans le but secret de lui reprendre ce pays fabuleux qu’était le Congo.
Pour nuire au Roi ses adversaires utilisèrent tous les moyens et manipulèrent l'information pour falsifier les faits. Les médisances prirent de telles proportions qu'on alla jusqu'à inventer que le Roi avait évincé la traite esclavagiste arabe pour la remplacer par une autre, qu’on coupait les mains aux hommes qui refusaient de travailler pour les Blancs et que les mercenaires du Roi auraient exterminé des millions de Congolais.
Ces histoires ont traversé le temps et ont livré à la postérité des mythes grossiers dont le génocide perpétré par les Belges au Congo, les mains coupées et l’esclavage belge au Congo.

 

Le thème d’un génocide a été développé par de nombreux auteurs. Comme le chiffre de 10 millions de victimes est le plus souvent avancé, certains n'hésitent pas à parler d'un véritable génocide. En 1935 déjà, l’écrivain allemand Ludwig Bauer reprit l’idée dans son livre « Léopold le mal-aimé » en écrivant : « Léopold avait reçu en toute propriété plus de vingt millions de Noirs. Quand il mourut, il n’y en avait plus que dix. Cette constatation est effroyable ».
Si dépeuplement il y eut au début de la colonisation, les causes en sont connues, mais il est impossible de le chiffrer car on ignore tout du peuplement de ces contrées avant l’arrivée des Belges. La Commission d’enquête de 1904 attribua cette dépopulation à deux causes principales : la variole et la maladie du sommeil. L'Etat s'est efforcé de combattre ces deux fléaux par la vaccination et la création de dispensaires et d'hôpitaux disséminés à travers le pays.
Comme il n'y avait pas de registres d'état civil, on ne dispose ni du nombre d’habitants, ni des taux des naissances et des décès avant l’arrivée des Belges, mais on peut supposer qu’à l’époque déjà la population décroissait à causes des luttes tribales, de la déportation d’esclaves par les Arabisés, des maladies et de la malnutrition. Il est un fait que la colonisation a aggravé cette dépopulation en introduisant involontairement de nouvelles maladies, mais ici aussi, en absence de toute donnée, on reste dans le domaine de la spéculation.
La méthode la plus souvent utilisée pour évaluer la population du Congo avant l'arrivée des Blancs se base sur l’estimation arbitraire faite en 1919 par la Commission de Protection des Indigènes, que pendant les premières années de la colonisation la population du Congo aurait diminué de moitié. Les premiers recensements officiels organisés par les Belges dans les années 1920-1930 faisant apparaître une population de l’ordre de 10 millions, certains en conclurent que la population de départ était de 20 millions et que donc 10 millions de personnes auraient disparu pendant la période de l’E.I.C. Disparitions attribuées à Léopold II.
Une autre méthode, encore plus fantaisiste, se base sur les estimations démographiques de la cuvette centrale du Congo faites par les premiers explorateurs. Les chiffres avancés oscillent entre 11 et 50 millions d'habitants. La disparité de ces chiffres leur enlève toute valeur statistique. C'est pourtant la méthode utilisée par le professeur Ndaywel è Nziem, un des signataires du collectif, qui dans son « Histoire du Zaïre », signale « qu'entre 1880 et 1908, environ 13 millions de vies humaines furent détruites ». Récemment, René Cogels, un journaliste du journal néerlandais « De Telegraaf », cite le chiffre de 20 millions. Où s'arrêtera la surenchère ?
Prétendre que Léopold II et les Belges sont responsables d'un génocide de millions de Congolais au début du 20e siècle est une monstruosité intellectuelle. Les exploits génocidaires des pionniers du Congo dépasseraient ainsi de loin en horreur et en nombre l'Holocauste du régime nazi, dont les armées fortes de plusieurs millions d'hommes envahirent toute l'Europe Occidentale, ce qui leur permit, avec l’aide de collaborateurs dans les pays occupés, de pourchasser les Juifs et les Tsiganes, de les déporter vers des camps de concentration en Allemagne où une véritable industrie de la mort extermina quelque 5 à 6 millions d'individus en quelques années. En comparaison, suivant le Bulletin Officiel de l’E.I.C., il y avait au Congo, au 1er janvier 1902, une population européenne de 2.346 individus, dont 1.465 Belges, agents de l'Etat ou de sociétés, des officiers, mais aussi des médecins et des missionnaires. Soutenir que ce petit nombre de personnes, dépourvu à l’époque de tout moyen et dispersé dans un pays grand comme l’Europe Occidentale, aurait pu éliminer des millions d'individus relève d'une affabulation ! Le goût du sensationnel et du scandale est à l'origine de ce mythe du génocide.
Notons encore à ce sujet qu'à la même époque la maladie du sommeil fit aussi d'énormes ravages en Uganda. En 1906, Winston Churchill, alors sous-secrétaire d'état aux Colonies, déclara à la Chambre des Communes que la maladie avait réduit la population de ce pays de 6,5 à 2,5 millions d'habitants, soit une réduction de plus de 60 %. Estimation bien sûr toute aussi aléatoire que celle de 50% faite à l'époque pour le Congo. Mais il est étrange que personne n'ait jamais relevé ce fait et accusé la puissance coloniale, la Grande-Bretagne en l'occurrence, d'avoir commis un génocide.
Il en va ainsi de toute l'Histoire du Congo qui seule fut manipulée à des fins politiques.
Si au siècle dernier l'histoire coloniale fut embellie à des fins patriotiques, aujourd'hui elle est vilipendée par des activistes anticolonialistes. L'Histoire impartiale de la colonisation belge doit encore être écrite.

Concernant votre démarche, il est significatif que la majorité des signataires est d'origine étrangère. Ces gens contestent que Léopold II et la colonisation belge aient apporté la civilisation au cœur de l'Afrique, mais ils en sont la preuve vivante. Ils ont fait de hautes études et ont de bonnes situations dans notre société occidentale, sans la colonisation ils ne seraient pas ce qu'ils sont, ni là où ils sont. Hélas, comme le constatait si justement Benjamin Constant de Rebecque (1767-1830) : « La reconnaissance à la mémoire courte ». S'ils souhaitent vivre dans des pays décolonisés, plutôt que de semer la zizanie ici, qu'ils retournent en Afrique où ils feraient œuvre utile en (re)construisant leur pays d'origine que la colonisation aurait détruit, l'Afrique a besoin de gens comme eux. Mais il est plus facile de vivre dans l'aisance chez les anciens tortionnaires et de faire le procès des pionniers blancs qui, au péril de leur vie, ont construit le Congo.

 

Pour conclure : qu'au Congo on ait déboulonné les statues de l’époque coloniale et débaptisé les villes et les rues rappelant la colonisation, c’est le droit des Congolais, mais c'est une réaction plutôt pubertaire, car l'épisode colonial fait partie de leur passé, de leur histoire et, comme le proclamait le philosophe Ernest Renan (1823-1892) : « Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un respect profond du passé ».
Faut-il aussi « décoloniser » la Belgique comme vous le suggérez ? Je ne le crois pas car, contrairement à ce que vous pensez, la colonisation, malgré ses imperfections inhérentes à toute œuvre humaine, fut une grande réalisation dont la Belgique peut être fière.

 

Un dernier mot sur Patrice Lumumba. Tout comme Léopold II, il a fait et fait encore couler beaucoup d'encre, adulé par certains il est honni par d'autres. Pour ma part, je considère qu'il a fait plus de mal au Congo que 75 ans de colonisation. C'est lui qui, par la diatribe mensongère sur la colonisation belge qu'il prononça le 30 juin 1960, a provoqué la débâcle congolaise qui précipita son pays dans le chaos et la misère où il se trouve toujours aujourd'hui, détruisant par un coup de gueule l'œuvre coloniale belge. Pas de quoi l'honorer en Belgique !

 

Pierre Van Bost

 

 

[1] http://www.lesoir.be/1240252/article/debats/cartes-blanches/2016-06-15/comment-decoloniser-statue-leopold-ii

 

 

 

 

©Pierre Van Bost